Témoignage Marine BENOIT

Témoignage de mon accident de la voie publique du 29 avril 2022 à la Richardais (35780)

Nous sommes le 29 avril 2022, j’ai posé mon après-midi de RTT et rentre du travail à vélo.

Ce jour-là, je porte un sweat, une veste soft Shell, une écharpe, un sac à dos mais pas de casque.

Il est 13h20, je passe comme d’habitude par la gare puis le collège le bocage pour retrouver la voie verte.

J’arrive dans la zone Intermarché où je choisis de sortir de la voie verte pour retrouver le chemin de ma maison. Je passe par le rond-point du collège Sainte-Marie puis rejoins la rue des artisans. Je reste bien sur le bas-côté, passe le rond-point et arrive dans le virage avant mon lotissement du hameau de la ville Rucette.

Au moment où je passe le virage, une voiture derrière moi et dont je perçois le bruit de l’embrayage et de l’accélérateur actionnés en même temps me percute.

Je vole vers l’avant et me retrouve au sol en plein milieu, perpendiculaire à la route. Les roues avant de la voiture roulent sur mes jambes, mon visage protégé par mes bras passe dessous, heureusement que mon casque n’est pas sur ma tête sinon le châssis de la voiture m’aurait traîné le long de la route et tué. Je continue à rouler au sol et les roues arrières passent sur mon dos.

Je suis paralysée, je n’arrive plus à respirer. Mon corps est tétanisé, mon souffle est coupé. Je tente de me concentrer sur ma respiration pour me calmer mais j’ai très peur qu’une autre voiture m’écrase et signe ma mort.

Je vois la voiture qui m’a roulé dessus s’arrêter devant moi. Un monsieur très âgé en sort lentement et me ramène mon sac tombé par terre..

Une femme vient devant moi, s’agenouille et me sécurise.

C’est ma voisine, mais sur le coup avec mon visage ensanglanté et ma paralysie, elle ne me reconnait pas.

Je vois le monsieur âgé retourner dans sa voiture, prêt à s’en aller. Les gens autour le retiennent et l’immobilisent jusqu’à l’arrivée des gendarmes.

J’ai mal, c’est insupportable…

A ce moment, je prononce « il l’a fait exprès ». Je ne comprends pas la situation. J’étais en vélo sur le bas-côté… Pourquoi m’avait-il foncé dessus ? Et pourquoi ne s’était-il pas limité à cela ?  J’entends la voix de mon voisin Brahim. Je dis à ma voisine qui me sécurise « Brahim est mon voisin ».

Elle ne comprend pas. Elle est stupéfaite. Ils réalisent tous les deux que je suis leur voisine, Marine, sportive, petite brune d’un mètre cinquante-cinq. Pas ce corps torturé, gisant au sol, au visage couvert de sang qui tente de s’exprimer et que personne ne comprend.

A partir de ce moment tout s’enchaîne. Mon identification va vite, mon voisin Brahim prévient mon ami Fabien qui rentre tout juste du travail. La rue des artisans est bloquée à la circulation et je comprends que je suis victime d’un accident. Je comprends que je vais devoir m’accrocher pour continuer à vivre.

Les pompiers arrivent, j’ai très mal au dos, c’est insupportable. Je suis toujours clouée sur l’asphalte, inclinée sur mon côté gauche avec le genou fléchi et mon sac dans le dos. Je pense que mon fémur est cassé car j’ai hurlé lorsque le grand-père a posé sa main sur mon genou. La morphine soulage progressivement mes douleurs, le pompier en appui tête me soutient énormément et m’accompagne pour ne rien lâcher, mais mon cas est grave et ils oseront me placer dans le camion à 15h30 seulement.

Ils m’emmènent à l’hôpital de Saint-Malo où je suis immédiatement prise en charge. Le bodyscan est sans appel. Ma colonne vertébrale est touchée, luxation L3-L4, aucun neurochirurgien n’est présent dans l’établissement, je serai donc transportée en hélicoptère à Pontchaillou à 19h00.

Mon père m’a rejoint aux urgences avant mon transfert. Sa première phrase sera « Promets moi de me retirer ma voiture à cet âge. » Le monsieur responsable de mon accident a 87 ans et ses enfants pensaient à lui retirer sa voiture une semaine avant.

Les infirmiers demandent à ma famille de me laisser. Le regard rempli de peur de mon conjoint au-dessus de ma coquille m’informe que mes opérations à venir sont risquées. Un message implicite qui m’invite à remplir mon sac de ressources pour espérer me sauver.

Il est 19h00, le transfert est pour maintenant. Un moment horrible. Le vol n’était pourtant pas long, mais le mal être plus les vibrations et l’intensité du bruit m’ont obligée à puiser dans mes ressources pour calmer l’oppression du trajet.

Arrivée à Pontchaillou, les places sont chères et mon intervention est repoussée de cas prioritaire en cas prioritaire. On me dit que je passerai à 23h00, puis à 2h heures du matin. Puis que le chirurgien est parti dormir… Ce n’est que le lendemain à 15h00 que je serai prise en charge. Je suis à ce moment totalement shootée par les doses de morphine et remets ma foi en la vie à ce quelque chose de plus grand que nous.

Nous sommes donc le samedi 30 avril 2022, il est 15h00 et je me réveillerai le lendemain dimanche 1er mai à 8h00, intubée attachée à un lit dans une pièce que je ne connais pas. Mon réveil totalement paniqué sera très vite pris en charge par les infirmiers pour me refaire plonger dans un profond sommeil qui me fera rouvrir les yeux un peu plus tranquillement vers 10h00.

A ce moment, le médecin interne me rend visite et m’explique la chirurgie que je viens de vivre la veille.

Arthrodèse de L2 jusqu’à S1 pour la luxation de L3-L4, ostéosynthèse avec un clou diaphysaire pour la fracture de mon fémur gauche et orientation à l’issue de ma reprise de conscience en service de soins intensifs pour mon pneumothorax bilatéral lié à mes nombreuses côtes cassées.

Je suis à ce stade  toujours totalement alitée. Mes seuls membres mobiles sont mes bras et ma tête qui peut pivoter sur la droite et la gauche uniquement.

Malgré la prise en charge H24 des soignants dans le service de soins intensifs, ces 5 jours seront synonymes de torture. Je suis un protocole d’oxygénothérapie à haut débit pour mon traumatisme thoracique. J’ai l’impression qu’on me déchire de l’intérieur à chaque inspiration avec en plus un placement sur le côté gauche pour traiter une atélectasie droite (obstruction des voies respiratoires).

Vendredi 6 mai, je suis transférée en service ortho. Un service pour les séjours programmés. Seule place disponible à ce moment au sein de Pontchaillou. Le matériel et le personnel ne sont pas adaptés à ma situation. Ce seront 12 jours et nuits de cauchemar en pleine réalité.

Un IRM de mon genou droit est effectué à l’hôpital Sud le 11 mai 2022. L’hypothèse du chirurgien est vérifiée. Rupture complète de mon ligament croisé postérieur droit. Ma zimmer sera donc remplacée par une atelle articulée que je conserverai également la nuit.

J’arrive au service de rééducation de l’hôpital de Saint-Malo le 18 mai 2022. J’ai une chambre individuelle avec un matelas adapté à mon arthrodèse. La posture assise est très douloureuse et je n’ai bien évidemment pas le droit à l’appui ni sur ma jambe droite, ni sur ma jambe gauche. J’ai donc un fauteuil électrique mis à ma disposition pour rejoindre mes séances de kiné et respirer l’air de la terrasse de l’hôpital lorsque ma colonne l’accepte.

Le 8 juin 2022, grâce à l’implication de mon kiné et de ma persévérance, je valide mon transfert du fauteuil manuel vers le siège d’une voiture à l’aide d’une banane (planche qui permet de glisser). J’aurai donc la permission de rentrer chez moi une journée et retrouver ma chienne qui m’attend depuis plus d’un mois.

Le 10 juin 2022, je commence les séances en piscine avec obligation d’avoir de l’eau jusqu’au cou afin d’utiliser au maximum la portance de l’eau pour répondre au zéro appui. C’est la première fois que mes orteils retouchent le sol du fond du bassin et une vague d’émotion m’envahit.

Mes transferts du fauteuil à la voiture se font aisément, ma force dans mes bras me permet de me tracter de l’un à l’autre et une nuit par semaine le week-end à mon domicile est validée avec un aménagement de mon habitation. Un lit médicalisé est placé dans mon séjour compte tenu du fait que ma chambre est à l’étage et que je ne peux monter mes escaliers.

Le 5 juillet 2022, le chirurgien orthopédique valide une reprise d’appui total sous couvert de l’attelle qui doit être gardée du lever au coucher pour ma jambe droite et une reprise progressive pour ma jambe gauche en fonction des douleurs. Je passe donc successivement du déambulateur aux cannes anglaises.

Cette étape est un grand pas mais mon moral chute jour après jour. Ma chienne, qui m’a vu arriver par la fenêtre le jour de l’accident mais qui m’a attendue plus d’un mois avant que j’obtienne l’autorisation de rentrer une journée chez moi, a contracté une tumeur foudroyante. Sa situation m’a conduit à la faire euthanasier le 13 juillet 2022. La vie d’hôpital est de plus en plus difficile à accepter et je n’imagine pas rester en séjour complet jusqu’à la réouverture du l’hôpital de jour. J’obtiens donc une fenêtre thérapeutique du 18 juillet au 16 août 2022.

A mon entrée en hôpital de Jour le 16 Août 2022, mes douleurs sont toujours aussi insupportables. J’ai de la morphine à 10 mg en libération prolongée matin et soir plus des interdoses en fin de matinée et fin d’après-midi. Je demande à avoir un scanner pour faire un état des lieux mais on m’explique qu’il est normal que je souffre autant compte tenu de tous mes traumas. La posture assise en voiture étant toujours insupportable, je suis transportée par l’ambulance chaque jour du lundi au vendredi.

Mi- septembre, je m’effondre en pleurs sur le plateau de rééducation tellement je suis fatiguée de souffrir. Mon état alerte et le médecin ordonne un scan de mon bassin le 22 septembre 2022. Deux jours après, elle m’annonce la présence d’un kyste de 8 cm sur mon ovaire droit. Kyste qui n’était pas présent sur mon body scan du jour de l’accident.

Le scanner est validé par l’échographie du 27 septembre de la gynécologue qui me prescrit un IRM le 24 octobre pour savoir si celui-ci est bénin ou malin. Je tente de patienter mais mes douleurs sont telles que je n’arrive pas à être assise plus de 10 minutes. La seule posture où les douleurs s’estompent est lorsque je suis allongée avec mes jambes relevées à 90 degrés.

Le 7 octobre 2022, je suis convoquée à l’audience du tribunal judiciaire de Saint-Malo. J’ai peur de souffrir si je ne peux supporter les postures assis ou debout plus de dix minutes mais j’ai besoin de me confronter à nouveau à son visage. J’ai besoin de revoir celui qui m’a percuté et écrasé avec son véhicule. Sûrement pour qu’il se rende compte de la situation ou bien pour entendre ses excuses, je ne sais pas.

Mon conjoint m’accompagne et m’assiste tout le long. J’arrive dans ce grand hall est déjà je ne fais plus la maline. Mes jambes tremblent, mon ventre se serre. A cet instant, je me rends compte que j’ai en fait très peur de le revoir. Mon avocat me rejoint et soudainement je me sens comme protégée.

Mais au moment où je le vois passer le hall d’entrée, c’est une immense émotion de colère qui m’envahie. Je revoie ce monsieur totalement désorienté, le regard vide, qui avance sans savoir où il va. Le jour de l’accident, je pensais que cette posture était à l’origine du choc qui venait de se produire. Je réalise que son état n’était pas lié à l’évènement et qu’il était déjà comme cela le jour où il a osé prendre le volant de sa voiture dans ses mains.

Je n’ose pas l’approcher, ni le regarder. Un de ses enfants vient me saluer, je sais qu’il culpabilise énormément compte tenu des messages qu’il m’envoie de temps en temps. Il m’a fait part du fait qu’il discutait avec sa sœur pour lui retirer sa voiture peu de temps avant ce jour du 29 avril 2022.

L’audience commence, mon avocat me demande de m’approcher devant la juge. Je me retrouve à la droite de celui qui a fait basculer ma vie en une fraction de seconde. Des flashs de l’accident reviennent sur mon écran mental à chaque fois que mon regard croise son visage.

La juge lui demande s’il se souvient de ce jour. Mes larmes commencent à couler lorsque j’entends cette question et une avalanche d’émotions me traverse lorsqu’il lui répond qu’il n’a aucun souvenir de cette journée. De mon côté, je n’ai pas perdu connaissance une seule seconde ce jour-là, ni au moment où ma tête passait sous la voiture, ni au moment où il sortait de celle-ci pour me ramener mon sac qui avait volé de mon panier de vélo alors même que j’étais totalement paralysée sur l’asphalte en train d’agoniser.

Je suis envahie par un sentiment d’injustice et dans le même temps j’observe que notre justice est perdue face à cette situation. Son avocate a demandé à ce qu’il soit reconnu irresponsable du fait de son grand âge et de son manque de lucidité ce jour-là.

En effet, à la base il emmenait sa femme en voiture pour qu’elle fasse ses courses sur Saint-Malo. Puis pour qui, pour quoi ? Il l’a laissé au supermarché, est parti faire un tour seul en voiture puis s’est perdu. Il a traversé le barrage de la rance et s’est retrouvé dans ma rue sans savoir pourquoi. Les courses étaient à 11h00 le matin et il a percuté mon vélo à 13h30 de l’après-midi. Deux heures trente à errer entre Dinard et Saint-Malo avec un véhicule entre les mains.

La juge est embêtée. Elle a besoin du rapport pour pouvoir trancher si oui ou non il est responsable pénalement. L’audience est donc reportée au 2 décembre 2022. Il sort de la salle. Je ne reçois aucune excuse de sa part.

Le 10 octobre 2022, mes douleurs sont insupportables, je craque et ne me sens pas capable d’attendre l’IRM du 24 octobre pour savoir si le kyste de 8 cm sur mon ovaire droit est bénin ou malin. Je retourne voir la gynécologue en urgence dans l’après-midi. Je suis prise en charge dans la soirée à 23h00. Dans ce lapse de temps, je prie pour espérer garder mon ovaire. Mais à 3h00 du matin dans la salle de réveil, je questionne l’anesthésiste toujours présent pour savoir ce qu’il en est. Il m’explique qu’il était impossible de le conserver dans cet état. Mes prières n’ont pas suffi, l’attente a conduit à l’ablation de ma trompe et ovaire droits.

2 décembre 2022, c’est le jour de la seconde audience. Je monte les marches du palais de justice avec mes cannes. Il est à l’entrée à attendre avec une dame que j’imagine être sa femme. Je passe devant eux, elle me regarde froidement. J’essaie de paraître forte et solide mais au fond de moi c’est tout mon corps qui tremble et ma gorge qui se serre. Son fils aîné et sa fille le rejoignent dans la file d’attente. Elle m’avait contacté par texto le 10 juillet 2022 lorsque j’étais à l’hôpital de Saint-Malo. Elle avait commencé son message par « Bonjour, je me permets de vous contacter, je suis la fille de l’affreux monsieur qui vous a percuté. Je suis profondément malheureuse et honteuse de ce terrible accident… ». Mais aujourd’hui, elle se bat pour que son père soit reconnu irresponsable.

L’audience commence et le malaise de la justice perdure. La juge demande à l’avocate les comptes rendus médicaux du conducteur effectués les jours qui ont suivi l’accident pour savoir si oui ou non il serait responsable pénalement. Mais son avocate n’a pas réussi à les récupérer. Après sa demande, le médecin lui a répondu : « Je vous rappelle que les éléments du dossier médical sont parfaitement confidentiels. Je comprends l’importance de cette pièce mais les enfants ou son épouse n’ont pas vocation à être destinataires du compte rendu de consultation. Je vous rappelle que la violation du secret médical pourrait entrainer la mise en cause de ma responsabilité civile, disciplinaire et pénale. »

L’avocate avait pourtant bien spécifié sa demande pour celui qu’elle défend et non sa femme ou ses enfants. Mais le message fut interprété différemment.

La juge ordonne une expertise médicale et psychiatrique et reporte l’audience au 7 avril 2023.

Je me remets tout doucement de ma chirurgie du 10 octobre 2022, mais à la dernière imagerie, le scan de mon bassin montre que la vis droite placée dans mon sacrum est cassée et cet état m’amène de nouvelles douleurs. Je perds confiance envers le neurochirurgien qui s’est chargé de moi lors de l’accident et décide d’avoir un autre avis cette fois à Saint Grégoire..

J’effectue toute une batterie d’imageries en février 2023 et le résultat est sans appel. Le neurochirurgien m’annonce qu’en plus de la vis cassée, la greffe au niveau de la luxation L3-L4 n’a pas pris et qu’il faut tout refaire pour espérer être libérée de cet inconfort quotidien.

Mars 2023, je suis réopérée de la colonne. Une opération très lourde et dangereuse. Il faut enlever tout le matériel antérieur, prendre de la greffe osseuse dans ma crête iliaque droite et refaire l’arthrodèse sur L3-L4 pour libérer les parties qui à la base n’étaient pas endommagées le jour de l’accident.

A

Image 1

Arthrodèse de L2 jusqu’à S1 avec vis droite au niveau du sacrum cassée avant la reprise de chirurgie

A

Image 2

Arthrodèse de L3-L4 après la reprise de chirurgie

Imagerie de suivi du 3/10/2023

7 avril 2023, troisième épisode pour l’audience en pénal. Cela fait seulement deux semaines que je viens d’être opérée à nouveau de ma colonne vertébrale et le transport en voiture est strictement interdit. Mon conjoint assiste donc seul à l’audience pour répondre aux questions de mon avocat. J’ai reçu quelques jours avant le rapport d’expertise du médecin responsable de cette mission. Je dois avouer que je me sens dépitée. Celui-ci met en lumière un « épisode confusionnel aigu au moment des faits » et le reconnaît donc irresponsable. Je lis également le témoignage de son fils  qui évoque qu’il s’est perdu en voiture un mois avant. Il y avait donc un signal d’alerte puissant avant l’accident et rien n’avait été mis en place.

L’audience dure, les personnes présentes dans la salle m’ont rapporté que la juge était dépourvue devant les réponses totalement décalées du monsieur sur ses dires et ses contradictions au sein d’une même phrase.

Le verdict tombe, il sera déclaré responsable de mes préjudices ; le tribunal ayant constaté qu’il était bien l’auteur de l’accident. Néanmoins, il sera déclaré irresponsable sur le plan pénal. Et à titre de sûreté, le tribunal a prononcé l’annulation de son permis avec interdiction de le repasser pendant 10 ans.

Je ressens énormément de colère et d’injustice. Mon conjoint qui a assisté à l’audience encore plus. Je prépare mon expertise médicale qui approche avec mon avocat et tombe progressivement en dépression. Je me sens vidée. Je n’arrive plus à ressentir de joie au fond de moi. Je n’ai plus d’élan pour me lever les matins et pourrais rester toute la journée à pleurer dans mon lit.

J’ai à ce moment deux possibilités. Je peux rester dans cet état avec ce sentiment d’injustice et de colère et envisager de faire appel. Mais mon avocat m’a évoqué que cela prendrait du temps et de l’énergie sans réel chance que la décision de justice se transforme. Ou je peux mettre cette affaire de côté, ne plus la regarder, ne plus attendre de ses excuses qui ne viendront jamais et concentrer mes ressources pour ma guérison. Mon corps et mon mental ont besoin à ce moment d’un maximum de force et je choisis de laisser la justice avec son manque de moyens ainsi que ce monsieur et toute sa famille avec leur culpabilité.

Mai 2023, J’envisage avec le chirurgien orthopédiste d’effectuer la ligamentoplastie de mon Ligament Croisé Postérieur droit rompu intégralement lors de l’accident. Une opération est planifiée le 21 septembre 2023. Mais malheureusement, la batterie de tests musculaires qui valide ou non cette opération ne sont pas bons. J’ai -58% de force sur ma jambe droite du fait de mon atteinte neurologique liée au syndrome de la queue de cheval et cela ne permet pas une rééducation efficiente après l’opération. Celle-ci est donc annulée.

Lors des consultations de suivi de ma colonne, j’en profite pour questionner la grosseur au-dessus de ma hanche droite qui perdure depuis un an et dont le diagnostic d’un œdème me paraît erroné. Le neurochirurgien m’annonce que cette masse est en fait une éventration déjà identifiée le jour de l’accident mais oubliée de par la quantité d’éléments à gérer.

J’enchaîne donc avec la visite vers des chirurgiens digestifs pour connaître les conséquences de ce nouveau trauma mis en lumière. J’ai mon oblique droit intégralement arraché avec la partie du muscle transverse (couche profonde des abdominaux) situé en dessous. Mon cas est rare et les chirurgiens doivent se consulter car une chirurgie serait très douloureuse et n’assure pas un mieux-être à l’issu. La possibilité d’étranglement de mon colon est impossible compte tenu du fait que le muscle est arraché dans sa totalité. J’ai des difficultés pour aligner ma colonne du fait de ce déséquilibre mais les chirurgiens ne peuvent m’assurer qu’un replacement de mon oblique rétablirait sa fonction d’origine.

La balance bénéfice risque penche plus en faveur du risque. Je  fais donc le choix de rester avec cette masse esthétiquement difficile à accepter mais heureusement indolore.

Le 10 octobre 2023, j’ai pu planifier avec le chirurgien orthopédiste l’ablation du matériel  pour mon fémur gauche qui aura lieu début janvier 2024. Cette intervention sera en ambulatoire mais pourra laisser la hanche douloureuse pendant plusieurs semaines du fait du passage transmusculaire au niveau des fessiers ainsi que l’hématome lié au retrait du clou diaphysaire.

A

Image 3

Imagerie de suivi du 10/10/2023

Clou diaphysaire suite à la fracture du fémur gauche

Je suis convoquée à Poncaillou en ambulatoire à 6h45 mercredi 3 janvier 2024. Je passe en première au bloc opératoire. Sous anesthésie générale et locale, le chirurgien effectue une incision de mon tenseur du fascia lata en distale et proximale avec en plus l’incision de mon moyen fessier pour exciser la calcification repérée à la radiographie. J’ouvre mes yeux en salle de réveil à 11h00 et la douleur est bien présente. Je n’arrive pas à me rendormir malgré l’injection d’anti-douleur. Les anti-inflammatoires le soir font leur effet. Je suis sur un nuage durant 4 jours. Je sens l’opération mais supporte la douleur. Mais leur arrêt est fatale et même la morphine ne pourra me soulager. Je ne peux plus poser mon pied au sol tellement j’ai mal. Je ne peux pas non plus tendre mon genou. Je vais rester 10 jours alitée.

Sur le plan professionnel, j’exerçais le métier de professeur de fitness et de maîtresse-nageuse avant l’accident. Salariée de Sport Bretagne, je coordonnais la Préformation permettant aux jeunes attirés par les métiers du sport et de l’animation d’intégrer les formation BPJEPS. J’encadrais les cours de fitness, d’aquagym, de course à pied et d’apprentissage de la natation avec les scolaires et animais également les cours de Zumba et de Fitdance au sein de l’association Emeraud’mouv au Minihic/Rance ainsi que de nombreux masterclass en solo ou avec Lucia Fernandez dans les rues de Dinard en période estivale.

A

Masterclass

Avant l’accident…

Exemple des nombreuses Animations dans les rues de Dinard et autre lors de la période estivale

La conclusion des experts en mai 2023 a certifié que ma carrière professionnelle était terminée. Je ne pourrai jamais reprendre mes cours de fitness avec une éventration, un syndrome de queue de cheval, un ligament croisé postérieur du genou droit rompu et une arthrodèse liée à une luxation L3-L4.

A ce jour, je ne réalise toujours pas ce que cela signifie. J’ai toujours au fond de moi la croyance que je pourrais revivre ces moments avec mes stagiaires et mes adhérents. Mais n’ayant toujours pas repris le travail, ma situation de déni est plus forte que ma réalité.

Sur le plan affectif, mon couple lui non plus n’a pas survécu à cet accident. Le changement de vie a été trop radical pour mon ex-conjoint et nos centres d’intérêts se sont éloignés au fur et à mesure que je commençais à m’orienter vers des activités telle que la couture ou le macramé.

En effet, avant l’accident, nous étions actifs au sein du groupe Dinard running et nous nous inscrivions au minimum une fois par mois sur un 10 kilomètres d’une course chronométrée. Je l’accompagnais dans sa passion en participant au championnat de fléchettes en doublette. Et nos vacances étaient rythmées aux énergies du canyoning, du parapente, de la randonnée et des courses à pied.

On peut dire que j’ai eu de la chance dans ce malheur. Un coup brutal de mon crâne sur l’asphalte et je serai morte, ou une luxation au niveau de mes vertèbres dorsales au lieu de mes lombaires et je serai aujourd’hui en fauteuil. Oui j’ai esquivé cela. Mais malgré cela j’ai perdu mon métier que j’affectionnais tant et mon couple qui m’animait au quotidien.

L’objet de mon témoignage n’est pas d’étaler ma peine pour cathariser vos vies. Il est là pour insister sur le fait que cela aurait pu être évité. Je sais aujourd’hui que ces évènements n’arrivent pas qu’aux autres.

Mon voyage à Amsterdam été 2021 m’avait convaincu. Tous les aménagements priorisaient la circulation en vélo, l’air y était sain et les habitants affichaient un corps actif en bonne santé. Je portais d’ailleurs le t-shirt acheté là-bas avec un énorme vélo et AMSTERDAM écrit en dessous le jour de l’accident. J’étais fière de me promener avec pour mettre en avant qu’il était temps d’agir pour arriver à leur niveau. Les pompiers l’ont découpé pour me placer les patchs. Peut-être un acte symbolique de la situation française actuelle dans ce domaine.

Notre volonté d’agir en conscience avec notre planète et pour notre bien-être nous invite de plus en plus à utiliser ce moyen de transport. Mais nos routes ne sont pas suffisamment -ou mal- aménagées. Nous pensons trop facilement être en sécurité. Or en une fraction de seconde notre vie peut-être chamboulée parce que nous souhaitions contribuer au bien-être de la planète en se rendant au travail en vélo.

De plus, un flou perdure encore en 2023 sur la conduite des personnes détenant une capacité de réaction très réduite. Je ne dis pas que les personnes âgées devraient arrêter de conduire. Certaines à 80 ans ont toujours toutes leurs facultés pour pouvoir prendre un volant quand d’autres à 60 ans devraient déjà penser à limiter leur trajet. Ce questionnement est un enjeu de citoyenneté. Il remet en cause l’autonomie des personnes en incapacité de conduire, les réseaux de transport et la sécurité des cyclistes. Nous devons passer au mobilités douces, c’est inévitable pour notre planète et pour notre santé. Mais nous devons tout mettre en œuvre pour sécuriser ce moyen de locomotion et ceci commence par la remise en cause du permis de conduire à vie et l’aménagement rapide des pistes cyclables.